Juin 2023
« L’eau, le feu »
par Danielle Leclerc
Avez-vous constaté comme moi, ce printemps, la sécheresse des sols ? Des crevasses dans les chemins de terre en plein mois de mai. Un simple filet d’eau dans les coulées et les petits ruisseaux. Le niveau très bas de la rivière.
Simon Mittelberger, climatologue français, dit : « Il y a un principe physique très simple : dès que vous avez un degré de plus sur l’atmosphère vous avez 7 % d’eau en plus qui s’évapore dans l’air et donc 7 % d’eau en moins soit dans les sols, soit dans les nappes phréatiques. »
C’est un sujet qui me préoccupe beaucoup en face duquel je me sens tellement impuissante. Je subis les vents forts et presque ininterrompus qui sévissent chez nous depuis le début du printemps. Et quand je vois lever la poussière, je ne peux m’empêcher de penser au film...
Le journal
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Opinion du mois
Texte choisi du mois
Juin 2023
« L'église du village »
par Daniel Pezat
Je viens de terminer la lecture du texte d'André Mathieu paru dans
Le Reflet du mois d'avril : Notre église. C'est bien connu, je ne suis
pas croyant, je n'ai jamais assisté à un office religieux à l'église Sainte-
Marguerite. Pourtant, j'en revendique la propriété, du moins sur le plan culturel et patrimonial.
Cette église, comme l’église Chalmers à Gould, est un bien collectif. Elles nous appartiennent. Nous devons refuser de voir des gens qui ne nous connaissent pas, qui connaissent encore moins notre histoire, nous dicter ce que nous devons faire ou ne pas faire.
L'église du village a été construite avec les cents, les dollars, le courage
et la sueur des gens d'ici. L’histoire populaire nous dit ...
Texte choisi - Février 2023
La nature de notre canton
« Ces boues... inquiétudes et questions »
par Monique Théoret
Le 19 avril 2006, j’ai été choquée lors du visionnement du film documentaire Tabou(e) réalisé par Mario Desmarais. À l’époque, on épandait déjà un million de tonnes de boues sur les terres du Québec. Une image choc ! Il montre un sol fertilisé avec ces boues durant plusieurs années. Il n’y a plus aucun ver de terre présent, ce sol a perdu sa productivité. L’auteur est persuadé que ces boues sont un concentré de virus, bactéries et polluants.
Selon lui, 80 % des boues auraient des concentrations trop élevées en métaux lourds. Il prie les agriculteurs de refuser les boues données par les municipalités. Une douzaine de pays européens sont partagés, certains interdisent l’épandage, d’autres le permettent avec des critères stricts et certains n’ont aucun critère de précaution. Les Américains auraient prouvé les bienfaits de l’épandage parce que plusieurs états le font depuis longtemps avec l’aval de l’Environmental Protection Agency (EPA). Les épandages font partie de la politique québécoise qui visait à valoriser 60 % des résidus récupérables d’ici 2010.
Qu’est-ce qu’il y a là-dedans ?
De quelles boues s’agit-il ? On les appelle des biosolides quand elles sont issues du traitement des eaux municipales. À l’échelle du Québec, 124 000 tonnes par année sont produites par les usages domestiques. Les boues peuvent aussi provenir des industries : boues de désencrage ou de papetières. Leur origine peut être agroalimentaire, comme les résidus des abattoirs, etc.
Hein ! C’est gratuit !
Elles ont des atouts, elles sont riches en phosphore, azote, potassium, carbone et matière organique. Elles sont très rentables, car offertes gratuitement aux agriculteurs qui acceptent d’en épandre dans leurs champs. Ils n’ont qu’à débourser pour l’équipement et la main-d’œuvre. Finies les dépenses d’engrais et autres fumiers animaux. Certains agriculteurs évitent des frais de 15 000 $ à 20 000 $ par année.
Plutôt verts ou brun m…
Les municipalités aussi économisent grandement : elles évitent les frais d’enfouissement des boues. J’aimerais citer l’exemple de la ville de Saint-Hyacinthe; 100 % de ses biosolides sont épandus. En 2008, il lui en coûtait 1 200 000 $ pour les enfouir. En 2022, le coût de l’épandage n’était que de 200 000 $. De plus, elle se rapproche des cibles à atteindre pour réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES).
L’enfouissement de ces boues serait responsable d’environ 4 % du total des GES émis au Québec. C’est pourquoi la valorisation de ces boues est encouragée par le ministère de l’Environnement du Québec, Lutte contre les changements climatiques, Faune et Parcs (MELCCFPQ) et recommandée par certains agronomes.
Où, quand, comment ?
Les premières études agronomiques, environnementales du recyclage des boues ont débuté dans les années 80. Un premier guide sur l’épandage était publié au Québec. De telles boues seraient utilisées sur environ 1 % des terres au Québec. De 2012 à 2018, la région qui en a épandu le plus est la Montérégie, suivie par l’Estrie avec 26 714 tonnes métriques. Depuis, l’inflation galopante et les difficultés d’approvisionnement causées par la guerre en Ukraine font que la demande de boues municipales dépasserait l’offre sur le marché.
Dans l’ensemble du Québec, il y a 842 usines de traitement des eaux, dont 83 envoient leurs biosolides dans des champs agricoles. Assez près de nous, East Angus le fait.
Il est vrai qu’il est interdit de les épandre sur les terres destinées à la consommation humaine. Un apparent bon sens dicte que seuls les champs destinés au fourrage des bêtes peuvent être fertilisés de cette manière.
Un encadrement, vraiment ?
L’encadrement de cette pratique par le MELCCFPQ comporte des failles. Les usages doivent être conformes aux exigences du Guide sur le recyclage des matières fertilisantes résiduelles (MRF) de 2015. Il y a quatre critères destinés à protéger le public et l’environnement :
C : contaminants chimiques tels que les métaux, dioxines et furanes ;
P : pathogènes tels que les salmonelles et E. coli ;
O : odeurs comparées aux fumiers, lisiers d’animaux ;
E : corps étrangers comme le plastique ou le verre.
C’est ce qui détermine si les boues peuvent ou non être valorisées.
On surveille s’il y a du plomb, du nickel, du cadmium ou de l’arsenic, c’est tout. On manque de connaissances sur les autres matières toxiques.
Les seules règles concernent l’épandage : distances à respecter avec les voisins, les maisons, les fossés, les plans d’eau, etc. C’est une filière où l’on fait confiance; aucune demande d’autorisation n’est nécessaire. Il suffit d’aviser le MELCCFPQ dix jours avant l’épandage. Des tests peuvent être faits après, juste dans les cas où il y a une plainte du voisinage.
Rassurant, les yeux fermés et le nez bouché
Une firme indépendante fait des contrôles deux fois par année.
Depuis 2017, il y a eu 712 inspections, de ce nombre 205 épandages étaient non conformes, soit environ un sur trois. Qu’ont fait les contrevenants ?
Fausse déclaration de l’échantillonnage et dépassement des teneurs en contaminants;
Épandage à moins de 50 mètres d’une maison;
Épandage à moins de 2,8 mètres d’un fossé;
Épandage à moins de 30 mètres d’un cours d’eau;
Épandage à moins de 100 mètres d’un puits;
Stockage de biosolides contenant des pathogènes.
C’est quoi, le problème ?
Depuis, le MELCCFPQ sait qu’il doit faire plus de contrôles sur la qualité des boues. En Ontario, les biosolides de neuf usines de traitement des eaux ont été testés par l’université de Waterloo. Tous ces biosolides contenaient des PFAS, aussi appelés polluants éternels. Ce sont des molécules qui persistent dans le temps. Elles sont utilisées pour fabriquer des produits hydrofuges ou antiadhésifs (teflon, cosmétiques, emballages, etc.) Au Québec, aucune de nos usines n’est testée en ce sens.
Ces composés chimiques, au lieu de se dégrader, s’accumulent dans l’environnement. Sébastien Sauvé, professeur titulaire en chimie environnementale à l’Université de Montréal, mentionne : « Au Québec on a peu ou pas de données sur les teneurs des biosolides par rapport aux contaminants émergents de type médicaments, hormones, plastiques, PFAS. »
Les agriculteurs ont confiance parce que l’épandage de boues est encadré par le MELCCFPQ et encouragé par des agronomes et des spécialistes. Ils pensent qu’en cas de problème, ils seront avisés.
Le lobby des boues
Il y a six entreprises accréditées pour contrôler la qualité des boues. Les deux plus connues sont Viridis et Englobe. Il semble y avoir conflit d’intérêts parce que cette dernière est aussi gestionnaire de boues. Englobe joue un rôle d’intermédiaire entre les municipalités, les industries et les agriculteurs. Elle est une compagnie de valorisation de matières résiduelles fertilisantes (MRF). Il n’y a pas de contre-vérification par des agronomes indépendants.
La présidente de l’ordre des agronomes du Québec, Martine Giguère, n’était même pas au courant que certains agronomes sont aussi lobbyistes pour les compagnies.
Profiter de l’expérience des voisins
Dans les années 80, l’usage des boues était déjà très répandu au Maine.
Fred Stone, un producteur laitier, en a épandu sur ses terres pour nourrir ses vaches de 1983 à 2004. Il a utilisé des biosolides, des résidus papetiers et des cendres pour la croissance du maïs et du foin.
Le 3 novembre 2016, il reçoit une lettre du service des eaux, lui communiquant que son eau potable est contaminée par des PFAS. La concentration est deux fois plus élevée que le seuil recommandé par l’EPA. D’autres tests ont lieu et il apprend que le lait de ses vaches contient vingt fois plus de PFAS que le seuil acceptable pour l’eau potable.
Même si ses épandages ont cessé depuis plus d’une décennie, il doit jeter son lait et abattre 80 % de son troupeau. Il espère maintenant ne plus être obligé de jeter le lait des 20 % de vaches gardées, mais il n’y est pas encore parvenu en 2022.
Sa famille est ainsi menacée de graves ennuis de santé. Fred Stone a en lui un niveau de contaminants cinquante-cinq fois plus élevé que la norme sécuritaire. Parmi les risques qu’il court : problèmes de thyroïde, cholestérol, cancers (reins, thyroïde, testicules), dysfonctionnement du foie, etc.
Des scénarios similaires se retrouvent partout dans le Maine : 700 sites ont reçu des boues d’épuration depuis plus de quarante ans. Un cas marquant : ce couple qui a acheté une ferme en 2014. Sa ferme était certifiée biologique et il n’a jamais fait d’épandage de boues. Toutefois, en 2021, il a appris que ses terres étaient contaminées par les PFAS. ll a cessé ses activités. La cause ? Dans les années 90, durant seulement quatre ans, les précédents propriétaires avaient épandu des boues.
Qu’est-ce qu’on fait pour en disposer ?
Finalement, de moins en moins de fermes ont reçu de boues dans cet état et le site d’enfouissement de Sanford au Maine déborde. Sur place, on commence donc le compostage des biosolides. Ensuite, on vend son compost aux agriculteurs et paysagistes. Les installations n’ont pas servi longtemps parce que ce compost est contaminé aux PFAS, même dilués.
La compagnie Casella, valorisant ces biosolides, cherche de nouveaux marchés pour son compost; elle envisage le Canada. Justement, Englobe a contacté André Brousseau de Sanford pour manifester son intérêt pour ce compost interdit d’utilisation au Maine. D’autres stations d’épuration des eaux de cet état exportent déjà leurs biosolides au Québec.
Un cadeau empoisonné ?
Via un partenaire d’affaires américain d’Englobe, la compagnie RMI de New Hampton au New Hampshire reçoit cette matière de plusieurs usines du Maine. Une portion de la matière est expédiée au Québec et passe la frontière à Stanstead. Elle franchit la douane sans problème parce qu’il n’y a pas de réglementation ou de limites concernant l’importation de ce produit qui n’est pas considéré comme un déchet. Chaque camion transporte trente tonnes de biosolides. RMI fournit de quatre à cinq camions par semaine.
Devinez la destination finale ! Le site de compostage d’Englobe situé sur les terrains de Valoris à Bury. Ce ne sont pas les seuls états à nous fournir en biosolides, il y a aussi les états du Vermont, de New York, du Massachusetts.
Le cas d’Englobe
La compagnie est prête à collaborer pour respecter les règles gouvernementales… quand il y en aura. Pour le moment, elle est très prudente dans l’autoréglementation. Elle importe uniquement des cargaisons testées pour vingt-deux types de PFAS selon les anciennes normes du Maine, avant l’interdiction, soit 2,5 parties par milliard (PPM). Elle garderait toute la matière provenant des É.-U. pour son compost et rien n’irait à l’épandage.
Elle réserve pour cet usage des boues québécoises telles que les résidus des papetières. Pour l’émission Enquête, Sébastien Sauvé a contre-vérifié des échantillons de boues fournis par Englobe aux agriculteurs. Le premier échantillon contenait jusqu’à six fois plus de contaminants que la norme qu’Englobe s’est elle-même fixée. Un des agriculteurs a utilisé des boues sur une seule parcelle de terrain et ses vaches ont été séparées en deux groupes. On a vérifié la concentration de PFAS dans leur fumier. Celui de celles qui ont mangé du foin fertilisé avec les boues était à 2,83 PPM et l’autre était à 0,84 PPM. On ne sait pas pour les contaminants qui seraient présents dans la viande ou le lait de ces bêtes.
Je me fais une tête
En 2006, j’étais estomaquée de ce que j’apprenais au sujet des épandages dans les champs agricoles. J’étais citadine à l’époque et c’est vite tombé dans l’oubli. Quand j’ai entendu la nouvelle de l’interdiction depuis août 2022 au Maine, mon drapeau rouge s’est relevé. Ils ne peuvent plus les épandre ou les composter. Ils ont trop de terres contaminées, c’est le premier état à légiférer. J’ai alors entendu dire que ces mêmes matières étaient importées dans le sud du Québec et j’ai eu des frissons. Ensuite, j’ai su, sur le site de Valoris, que l’une des destinations était à Bury et j’ai été réellement inquiète.
Ma prise de position
À la lumière de ce que j’ai appris sur les usages du site de compostage de la compagnie Englobe, ma fibre « gauloise » est plus que jamais stimulée. Je continuerai à faire mon compost à la maison. C’est la seule manière de m’assurer que mon compost ne soit potentiellement contaminé pour des décennies.
Je l’ai sûrement déjà écrit et j’ose me répéter : dans la nature, rien ne se crée et rien ne se perd. Le fait d’épandre des matières contaminées pour nourrir du bétail les concentre dans la chaîne alimentaire, car il y a transfert d’énergie et d’éléments organiques et inorganiques. Pensez au cycle de l’eau, au ruissellement, à l’érosion, à la percolation qui ne peuvent freiner ces PFAS jusqu’à nos eaux souterraines.
Quel espoir pour les Québécois ?
Notre meilleure option est de participer à mettre de la pression sur les gouvernements pour éviter d’être un territoire expérimental à nos dépens. Soyons patients et vigilants, le MELCCFPQ a rejoint le ministère de l’Agriculture et l’université Laval dans un projet de recherche. Ils ont planté du maïs à ensilage. Ils ont utilisé deux cents types de fertilisants qu’ils ont analysés ainsi que les sols et eaux de ruissellement. Ils veulent savoir si des contaminants se retrouvent dans la nourriture des animaux.
Je vous recommande deux reportages disponibles sur le Web. Ils donnent un portrait actuel de la situation. Regardez d’abord L’histoire se répète de l’émission La semaine verte et complétez avec le reportage Une histoire qui ne sent pas bon de l’émission Enquête.
N.B. Dans un prochain article, je vous communiquerai les réponses reçues au sujet des boues dans notre région.

